Un bal à la Cendrillon

    La musique résonne. Elle est un peu forte pour toi. Tu as mis des bouchons d’oreille pour réduire le bruit. Cela te permet de profiter de la soirée. Heureusement, le soleil met du temps à se coucher en cette soirée de début d’été. Un bal avant les vacances.

 

    Tu danses. Tu t’amuses. Tu ris. Tu profites de tes amis. Dans ta belle robe aux couleurs de la nature, tu te sens bien. Tu te sens toi. Elle couvre ton cou ainsi que ton épaule et ton dos. Tes marques de griffures, ainsi, invisibles au public.

 

    Personne ne le sait. Enfin, seulement un professeur, la directrice et l’infirmière. Des amis de ta mère. Ils le savent pour pouvoir t’aider en cas de besoin. Ils sont là pour te protéger. Au début, tu n’aimais pas cette surveillance, mais, tu sais maintenant qu’elle est là pour ton bien et celui des autres.

 

    Tu danses alors pour oublier l’espace d’un instant les transformations. Pour oublier les changements. Oublier cette sensibilité. Tu danses pour être toi. Tu en es fière. Tu apprends à t’accepter entièrement.

 

    Le sourire sur tes lèvres. Tu aimes cela. Un moment d’innocence. Une adolescence presque normale. Mais pour toi, ce mot ne signifie pas grand-chose. Tu ne l’aimes pas trop à vrai dire. Tu aimes la bizarrerie et l’originalité. Tu aimes que les gens soient tels qu’ils sont sans se cacher.

 

    Tu brilles dans cette salle. Tes yeux brillent aussi. Doucement, tu commences à avoir chaud. « Non, pas maintenant », as-tu envie de dire. Tu sens les odeurs plus fortes. Les sons transpercent les bouchons. Les lumières commencent à te brûler les yeux. Tu cours alors.

 

    Un élan de conscience. Tu connais les symptômes. Tu connais le danger. Les cachots, trop loin pour aujourd’hui. La forêt, un refuge. Tu esquives les personnes. Tu t’excuses rapidement. Tu cherches à fuir. À te cacher. La liberté est de courte durée.

 

    Une fois à l’extérieur. Tu t’enfonces dans la forêt. Tu regardes la lune. Tu déposes ta robe sur le sol. Tu cris. La douleur. Ta peau brûle. Ton corps se tord. Tes sens te jouent des tours. Tu ne t’y habitueras jamais.

 

    Douleur.

    Brûlure.

    Craquement.

    Cacophonie.

    Odeurs.

    Aveuglement.

 

    Il est là. Il est réveillé. Il est maitre.

Telle mère, telle fille

    Assise sur une branche d’arbre, tu dessines. Tu te plais à contempler la nature autour de toi. Nature si fragile. Elle danse avec le vent. Tu le sens. Tu oublies le bruit des quelques élèves non loin dans le parc. Tu les oublies pour te concentrer sur celui des feuilles.

 

    Tu tends l’oreille. Tu prends une grande inspiration. Les odeurs viennent te chatouiller les narines. Tu fermes les yeux. Tu prends ton temps. Tu te détends. Tu tentes de les séparer pour mieux les analyser. Pour mieux en profiter.

 

    Tu sens les fleurs. Tu sens cette douce odeur de rosée. Tu aimes venir t’isoler sur ton arbre tôt le matin. Lorsque le soleil se lève. Personne ne te dit rien. Personne ne te l’interdit. Tu es libre de prendre ton envol. Libre de grimper sur ta branche.

 

    Tu profites de l’instant. Ce soir, nuit de pleine lune d’après ta mère. Tu devras demander à dormir dans le cachot. Tu n’aimes pas cela, mais tant que le loup n’est pas contrôlé, tu ne veux pas prendre de risques.

 

    Avec la méditation et la potion, tu es plus sereine. Tu contrôles tes colères et tes émotions. Ou du moins, tu tentes de le faire. Mais, parfois, quand les injustices sont trop grandes. Le loup se glisse pour accentuer le tout.

 

    En y repensant, tu prends une nouvelle inspiration. Il faut encore travailler. Tu le sais. Il faudra du temps et de la patience. Mais un jour, tu le sais, tu y arriveras. Tu en as l’espoir. Tu serres dans ta main, le pendentif de maman. Oui, il y a de l’espoir.

 

    Au même instant, un son vient à tes oreilles. Tu te concentres sur lui. Il se rapproche. Tu tentes de deviner son odeur. Il va vite. Tu n’as pas le temps. Il est déjà là. Sur ton épaule, collant son petit museau sur ta joue.

 

    Tu ouvres les yeux. Zip. Tu l’as nommé ainsi en souvenir de l’ami roux de maman. Il vient tous les matins te tenir compagnie. Il t’a comme adoptée. Parfois, il prend la pose pour que tu le dessines. D’autres fois, il se contente de se poser contre toi. Il n’a pas peur. Il n’a pas l’air de savoir. Ou peut-être qu’il sait. Mais il est là.

 

    Ton amitié avec ce petit est forte. Tu te demandes si quand tu quitteras l’école pour les vacances, il sera toujours là au retour. Tu te sens triste à l’avance de le laisser ici. Il a surement sa vie parmi les arbres.

 

    En attendant, tu profites de cet instant paisible. Cet instant dans ton arbre loin de tes angoisses.

Prise de conscience de soi

    La méditation. Cela fait quelques mois que maman t’initie à cela. Tu ne sais toujours pas si cela est utile. Restée assise, les yeux fermés. Tu repenses aux événements. Tu tentes de te souvenir de tes nuits. Mais tu ne te souviens que de la douleur. Tu ne te souviens que de l’odeur du sang.

 

    Tu ouvres rapidement les yeux à chaque fois. Tu ne fais que revivre des moments que tu souhaites oublier. Tu ne comprends pas en quoi cela est censé t’aider. Mais tu écoutes ta maman. Tu fermes de nouveau tes mirettes.

 

    Tu sens de nouveau la douleur. Les images sont floues. Les sons se bousculent. Les odeurs s’emmêlent. Tu entends le souffle de maman. Tu sens son odeur près de toi. Tu te souviens de celle de son sang. Un souvenir bien précis. Déjà deux ans et les images toujours aussi nettes.

 

    D’après maman, la médiation doit t’aider à te comprendre et à te maîtriser. C’est censé être aussi le cas de la potion que tu prends. Mais rien n’y fait. Il est toujours là. Il grandit en même temps que toi. Il est au fond de toi.

 

    Tu ne vois pas l’intérêt de tout cela. Tu te lèves. Tu la regardes avant de partir d’un coup. De l’air. Il te faut de l’air. Tu n’en peux plus. Cela ne sert à rien. Personne ne peut rien. Et de la médiation ne changera rien à ta condition. Dans quelques nuits, tu te transformeras de nouveau. C’est un fait.

 

    Tu sens une main attraper la tienne. Tu te dégages vivement. Tu te retournes. Lui faire face. Tu vois le regard de ta mère sur toi. Il est plein de pitié. Elle ne fait cela que pour elle. Elle a peur de toi. Tiens-lui tête. Dis-lui…

 

    – Tout cela est inutile. Je suis qu’un monstre. Même toi tu as peur de moi. Tu m’enfermes les nuits de transformation. Tu n’es plus la même. Tu ne me regardes plus pareil. La méditation, les potions, rien ne change. Il est là. Il sera toujours là. Personne n’y peut rien. Personne. Personne !

 

    Tu as crié ce dernier mot. Il est sorti avec une telle force. Tu ne sais pas ce qui t’a pris. Tu ne maîtrises pas. Tu ne maîtrises rien. Tu entends cette voix dans ta tête tambouriner. Tu l’entends continuer. Elle ressasse les choses. Elle…

 

    Des bras.

    De simples bras.

    Un simple câlin.

    Un doux câlin.

 

    – Maman… Je suis…

    – Ne t’en fais pas ma chérie, je le sais. Je suis là pour toi…

 

    Elle est douce. Calme. Aucune colère en elle. Cela t’apaise. Elle t’apaise. Comme elle le faisait quand tu étais petite et que tu faisais des cauchemars. Elle est là tout simplement. Tu sais qu’elle le sera toujours. Tu n’es pas seule pour tout surmonter. Vous êtes deux.

Prise de conscience du loup

    Des images floues. Des actions incontrôlées. Il est là. Il est maître.

 

    La cabane n’avait pas résisté cette fois-ci. Ou plutôt la porte avait mal été fermée.

 

    Il est libre. Il sent le vent dans son pelage. Le voici qui s’approche du chalet. Il s’avance. Il suit l’odeur. Il s’acharne pour entrer. Sans succès. Il tente encore et encore. Rien n’y fait.

 

    Il contourne le lieu. Il essaye diverses entrées. Rien. Puis une odeur vient à ses narines. Une douce odeur. Il se lèche les babines. Il suit le doux parfum humain. Parfum mêlé à une touche animale. Il le traque.

 

    Il renifle l’odeur. Il avance pour la rejoindre. La faim monte en lui. Elle se fait de plus en plus forte. Elle augmente au fur et à mesure qu’il se rapproche de son futur repas. Il le sent. Il n’est plus très loin.

 

    Au détour d’un arbre, un bipède. Il se lèche de nouveau les babines. Il prend quelques secondes pour trouver ses appuis. De courtes secondes avant de sauter sur sa proie. La faisant tomber à la renverse.

 

    Elle le repousse. Réussi à se relever non sans mal. Oh douce odeur du sang. Elle vient lui chatouiller les sinus. Elle lui ouvre encore plus l’appétit. Juste un croc. Un seul petit croc. Il a tellement faim.

 

    Un bruit à ses oreilles. Suit un sifflement. Tu n’es pas totalement en retrait. Tu peux reconnaître la voix de maman. Malgré les sons qui t’attaquent, tu reconnais sa voix. Ne pas attaquer, tel est-ce que tu te répètes à l’intérieur. Tu n’as pas d’emprise. Tu ne peux rien faire. Tu cris d’arrêter, de changer de direction.

 

    Un instant de conscience avant de retourner à l’arrière-plan. L’animal part en courant. Il fonce au travers des arbres. Il les esquive rapidement. Il s’enfonce dans la forêt. Il s’éloigne…

 

    Au matin, maman t’a retrouvé loin du chalet. Elle a ramené ton petit corps épuisé à la maison. Tu as dormi deux jours de suite. Mais maman est toujours là. Des petites griffures dans le dos, mais bien vivante. Tu lui dis alors à ton réveil que tu feras ton possible pour le contrôler… Un espoir. Une lumière au milieu de la nuit.

La douleur d’une mère

    (Point de vue de Max, la mère)

 

    La journée d’anniversaire terminée, je commençais à ranger la maison. Les emballages de cadeaux trainaient sur le sol. Les assiettes étaient toujours sur la table. Le reflet avait voulu lancer un sort pour tout nettoyer, mais j’avais refusé vivement. Tout ne doit pas être fait avec de la magie. Il ne fallait pas dépendre d’elle.

 

    Je souriais en repensant à cette journée. Ce fut riche en émotions. MacKayla venait d’avoir six ans. Six ans déjà. Comme le temps passait vite. Je me rappelais de la naissance comme si c’était hier. J’étais encore émue. Bientôt, elle allait partir de la maison pour ses études. J’avais un peu peur. C’était mon enfant. Je devais la protéger.

 

    En parlant de la protéger, il commençait à se faire tard. J’allais passer une tête par la porte d’entrée. Elle jouait avec les deux louveteaux devenus grands. Ils s’entendaient tellement bien tous les trois. Et puis, ils étaient toujours là pour elle. Surtout Laurel qui la suivait partout. Cela était vraiment mignon. Et rassurant aussi pour mon cœur de maman.

 

    Lorsque je lui demandais de rentrer, elle demanda du temps supplémentaire. Je ne pouvais pas lui refuser. Elle avait des yeux auxquels je ne pouvais difficilement résister. Je lui laissai alors quelques minutes. Le temps de finir le rangement. Je rentrais en souriant.

 

    Je m’activais pour finir de tout ranger. Il ne restait pas grand-chose. Je criais un peu fort que j’avais fini. Les loups passèrent rapidement la tête par la porte. Ils entrèrent. Je m’attendais à voir ma fille les suivre. Mais, personne. Mon cœur loupa un battement.

 

    J’allai dehors. Personne. Je l’appelais. Rien.

 

    – Laurel, Hardi, vite, retrouvons là !

 

    Les deux loups sortirent en trombe de la maison en fonçant dans la forêt. Ils étaient suivis de Rouky et Rox. Berger allemand et chat, prêts, eux aussi, à partir à la recherche de l’enfant. Tous ensemble, nous la retrouverons, même si je devais y laisser ma peau. Je courrais derrière le chat. Une transformation en écureuil serait risquée.

 

    J’entendis un cri. Puis un hurlement. Mon sang ne fit qu’un tour. Je ne réfléchissais plus. Je ne me contrôlais plus. Ce cri venait de mon enfant. Je devais la retrouver. Je fonçais vers l’origine. Jusqu’à en perdre haleine. Jusqu’à en perdre mon souffle. Elle comptait plus que tout à mes yeux. Je ne pouvais pas l’abandonner.

 

    Je slalomais entre les arbres. Je vis comme une bataille devant moi. Mais je n’y fis pas vraiment attention. Mon regard se porta sur le corps au sol. MacKayla. Elle saignait. Sa main posée sur un bébé renard. Mon regard changea. Il se tourna vers le coupable. Celui-ci se battait avec Laurel. Je sortis ma stèle. Le sort fusa. Rapide. Simple. Efficace. La créature fut projetée en arrière. Un autre sort. La voici assommée.

 

    Je dus me retenir pour ne pas en lancer un autre. Mais une pensée revint à l’esprit. MacKayla. J’attrapais la petite fille dans mes bras. Ne me sentant pas de laisser le renardeau, je confie aux animaux la mission de le ramener au chalet. Je courais. Je me repérais à l’instinct connaissant bien la forêt avec les années.

 

    Arrivée devant le chalet, je remarquais que la peau de l’enfant était chaude. Elle suait un peu. Elle semblait torturée dans son sommeil. Non. Ne me dites pas que. Non… Partagée entre la tristesse et la douleur, je devais rester concentrée. Elle perdait beaucoup de sang, mais ses plaies ne semblaient pas trop profondes. Je me dirigeai alors vers le cabanon et non le chalet. Je la déposais sur des couvertures. Un sort de soin sur les plaies. Mais cela ne marcha pas sur l’épaule. Je courus vers la maison.

 

    Placard de l’entrée. Une petite décoction en cas d’extrême urgence. Un simple mélange contre les blessures des êtres de pleine lune. Je l’apporte et l’étale sur la blessure. Celle-ci se résorbe doucement. Cela voulait donc dire que… non Max… Concentre-toi…

 

    Des bandages autour des plaies. La magie médicale n’était vraiment pas mon fort. Quelques runes pour vider l’abri au maximum au plus vite. Puis se retirer. Fermer la porte. La sceller. S’assoir. Pleurer. Les nerfs lâchaient. Je n’étais plus capable de garder le masque. J’espérais qu’elle s’en sorte. Je ne pouvais rien faire pour elle. Je ne pouvais rien faire pour l’aider. Je ne pouvais même pas entrer pour être là. Je devais être là pour la suite.

 

    J’espérais sincèrement que les livres se trompent et qu’elle survive. J’espérais que tout ceci ne soit qu’un rêve. J’espérais assise contre la cabane de bois. J’allais peut-être perdre ma petite fille ce soir. Je n’avais pas su la protéger. Je n’avais pas su être là. J’aurais dû…

 

    Un cri me sortit de mes pensées. Je devais me retenir de regarder. Un nouveau cri. Puis un autre. Puis le silence. Un grognement. Des hurlements. Des bruits. Contre la porte. Contre les murs. La peur me prit au fond de moi. Un nouveau sort sur la cabane pour l’aider à résister. Avant de rentrer.

 

    Le renardeau avait lui aussi besoin de moi. Et assise devant la cabane à attendre je n’étais pas des plus utiles. Je soignais le petit que l’un mes loups avait déposé sur un coussin dans le salon. Il allait s’en sortir avec une belle cicatrice, mais le petit était un battant. Comme MacKayla. L’espoir était là.

 

    Je ne dormis pas de la nuit. J’attendais que les bruits dans la cabane cessent. J’attendais pour pouvoir rentrer. J’attendais les premiers rayons du soleil. J’attendais la disparition de la lune. J’attendais que ma petite fille revienne.

 

    Soudain, plus un son ne sortit de la cabane. Plus rien. Plus un mouvement. Je m’approchais discrètement de la fenêtre pour vouloir le petit corps allongé sur le sol… nu. Je m’empressais de baisser les protections pour envelopper ma fille dans mon pull. Je la raccompagnais à l’intérieur. Je la déposais dans son lit. Je lui enfilais des vêtements amples. Puis je fis de nouveau ses bandages au niveau du cou, épaule et dos. La marque de griffure était bien profonde. Elle risquerait de rester plusieurs années.

 

    Je fis des allers-retours pour aller lui chercher un linge. Essuyant son front. Lui nettoyant le visage. Les animaux venaient eux aussi. Ils étaient inquiets tout comme moi. Je priais pour que MacKayla se réveille. Pour qu’elle ouvre un œil. Qu’elle fasse un mouvement. Un signe de vie supplémentaire à la respiration faible.

 

    Elle finit par se réveiller trois jours plus tard. Je n’avais presque pas dormi. Le reflet, mon frère était arrivé la veille pour m’aider et prendre le relais. Mais sachant ma fille mal en point, je ne trouvais pas le sommeil. Et elle s’était réveillée. Doucement, douloureusement, avec une tentative de sourire, mais elle était là. En vie. Je promis alors de tout faire pour l’aider…

Un réveil douloureux

    Tu te réveilles doucement. La douleur. Elle t’irradie. Cou. Épaule. Dos. Pourtant les plaies semblent avoir été soignées. Tu le remarques en voulant toucher ta peau. Un bandage t’en empêchant. Tes yeux ouverts. Tu vois, un plafond à la place de la forêt. Quelque chose de familier. Mais ta tête te brûle. Tu n’arrives pas à réfléchir.

 

    La remise. C’est le nom de lieu que tu cherches sans le trouver. Tu te redresses. Les mains entourant ta tête. Tu cris de douleur. Celle-ci est tellement intense. Tu la sens se propager. Tu la sens au fond de toi. Tu la ressens. Elle ne diminue pas. Elle ne te laisse pas de répit. Elle est violente.

 

    L’espace d’un instant, tu te sens partir. Une voix resonne en toi. « Non-restes réveillée. » Tu luttes pour la suivre. Mais, elle te prend de plus en plus. Tu sens comme une force remonter dans ta tête et dans chacune des cellules qui la composent. Tu fermes les yeux. Tes mains s’agrippent dans tes cheveux.

 

    Puis elle s’étend. Elle vient gagner le bras droit avant le gauche. Ta notion du temps est instable. Cela semble durer à la fois des heures et en même temps c’est tellement rapide. Tu ne sais pas si ton corps tiendra. Tes bras te brûlent. Ta peau te brûle. Tu as comme envie de la retirer. Assise en boule sur le lit de fortune, tu te balances.

 

    L’expansion de la douleur continue. Elle part à la conquête du reste de ton corps. Elle descend sur ton tronc. Tu arraches ton T-shirt avec une force qui ne t’appartient pas. Tu envoies valser les bandages. Tu te retrouves sur le sol. Sans savoir comment. Ta tête tourne. Tu n’as plus vraiment la notion de l’espace.

 

    Bientôt, même les jambes sont touchées par le fléau. Ton pantalon t’est alors insupportable. Tu le retires rapidement. Tu te mets à nue. Et même ainsi, la chaleur en toi ne diminue pas. Elle s’intensifie. Encore et encore. Elle joue avec la douleur. Elle s’associe avec elle. Tu ne sais plus qui précède l’autre. Tout ton corps te brûle. Tu cries encore et encore.

 

    La douleur entre dans ta chair. Elle se propage dans tes muscles. En tous, en même temps. Jusque dans tes os, tu la sens. La douleur résonne dans chaque parcelle de ton être. Tu as envie de lui crier de partir, mais tu n’y arrives plus. Tout ceci est tellement intense que ta voix elle-même s’en est allée.

 

    Tu sens tes os se tordre. Tu les sens craquer. Tu les sens changer. Tu sens chaque changement dans ton corps et ta posture. Tu te courbes. À quatre pattes sur le sol, tu ne contrôles plus rien. Tu n’es maitre de rien. Tes ongles poussent avec douleur et violence. Tes mains et pieds se transforment en même temps que les larmes touchent le sol. Et ton squelette n’est pas le seul touché.

 

    Sur ta peau, tu sens comme de milliers de piqures. Tu sens que quelque chose change. Ta peau te brûle. Elle est comme attaquée de l’intérieur. Comme si quelque chose allait en sortir. Les poils poussent de partout. Chacun est accompagné d’une douleur. Les larmes de douleur remplacent les cris.

 

    Autour, tout est flou. Heureusement dans l’abri, la luminosité est faible. Seule celle de la lune est présente. La fenêtre comme seule source de lumière. Les yeux déjà sensibles à la faible lueur. Tu regardes le sol. Ta vue change. Tes pupilles se dilatent. Tu les sens. Tu sens chaque changement infime de ton être. Tu les sens.

 

    Comme tu sens toutes les odeurs autour de toi. Elles se mélangent. Elles dansent sans aucune harmonie. Elles se bousculent dans ton nez. Elles te font mal à la tête. Tu n’arrives pas à les différencier. Les stimuli sont trop importants, trop nombreux. Tu n’arrives point te concentrer sur un seul. Mais l’odorat et la vue ne sont pas les seuls impactés…

 

    Une cacophonie se fait entendre. Malgré tes mains sur tes oreilles, tu n’arrives pas à faire diminuer le volume. Tout est de plus en plus fort. Tu entends des pas. Tu entends le vent. Tu entends les grincements du bois. Tu entends des sons que tu n’arrives pas à nommer. Cela semble sans aucune logique.

 

    Dans ta tête, tu luttes. Tu ne sais contre quoi. Tu tentes de garder le contrôle. Il est trop tard. Tu appelles ta maman. Seul un son difforme sort de ton gosier. Tu sens la douleur partout en toi. Tu la sens en toutes choses. Tu la ressens entièrement. Elle est tellement forte. Plus forte que toi sur l’instant. Tu t’abandonnes. Tu hurles…

 

    Tu n’es plus. Il est maitre.

 

    Il hurle. Il prend le contrôle. Il est maitre à présent. Il ravage tout. Il veut partir. Liberté. Porte fermée. Il s’énerve. Il détruit tout. Évasion. Porte bloquée. Il use de ses griffes. Il use de sa force. Rien. La porte résiste. Il grogne. Il s’enrage.

 

    Une odeur. Vision rouge.

    Courir. Tourner.

    Attaquer. Louper.

    Sortir. Bloqué.

Un appel dans la forêt

    Tu joues. Tranquillement, tu t’amuses. Maman est dans la maison. Vous n’êtes que toutes les deux avec les animaux. Les autres sont repartis un peu plus tôt. Ton anniversaire s’est merveilleusement passé. Tu as été gâtée. Le sourire ne quitte plus tes lèvres. Tu n’as même plus envie de rentrer. Tu n’as pas envie que la journée se termine.

 

    Et pourtant, le soleil est tombé depuis un moment. Les étoiles brillent dans le ciel. Avec toi, les deux loups. Tu leur lances la balle. Tu ris. Sous la lueur de la pleine lune, tu profites, innocente. À la lumière d’une simple ampoule, tu ne fais pas attention aux dangers. Les loups avec toi, tu sais que tu ne risques rien si tu ne t’éloignes pas.

 

    Maman t’appelle pour rentrer. Tu lui demandes quelques minutes. Elle soupire sans insister. Elle te dit juste que tu dois rentrer dès qu’elle a fini. Parfois, tu te demandes pourquoi maman n’utilise pas beaucoup sa magie. La magie de maman est belle. Mais elle aime aussi se débrouiller sans elle. Un jour tu lui demanderas. En attendant, tu as plus de temps pour jouer et profiter des derniers instants de la journée. Ou plutôt de la soirée.

 

    Les deux loups face à toi sont comme des enfants. Ils s’amusent avec toi. Tu leur rends bien. Ce sont tes amis, ta famille. Ils sont toujours là. Dès que tu sors, Laurel est près de toi. Il est un peu ton ange gardien. Et alors que tu le félicites d’avoir rapporté la balle, la voix de maman. L’heure de rentrer. Les deux loups devant toi…

 

    Soudain, un bruit t’interpelle. Tu t’arrêtes. Tu tends l’oreille. Comme un appel à l’aide. Il retentit de nouveau. Un animal. Tu ne réfléchis pas. Tu te mets à courir vers l’origine du bruit. Maman t’a appris à toujours aider ton prochain. Mais, elle t’a aussi prévenu de ne pas aller seule en forêt. Cependant aujourd’hui, le second conseil tu sembles l’avoir oublié. L’envie d’aider avant tout.

 

    Tu suis les appels. Tu t’enfonces dans la forêt. Tu as un peu peur, mais tu penses à cet animal. Tu le vois allongé. Une trace de griffe sur le dos. Le renardeau semble mal en point. À y regarder de plus près, tu vois que la trace ressemble à celle de serres. Tu ne le sais pas, mais le petit s’est fait attaquer par un grand-duc. Cependant, ce dernier était parti sans son repas sans raison apparente.

 

    Imitant ta maman, tu retires ton gilet pour le mettre sur la blessure du petit. Tu tentes de le rassurer. Tu essayes d’acquérir sa confiance. Tu sais que maman arrivera à le soigner. Avant de le transporter, tu dois t’assurer qu’il n’a pas trop peur. Tu lui caresses doucement la tête. Tu lui murmures de douces paroles.

 

    Sans le savoir, tu es observée. Tapi dans l’ombre, il se délecte de la scène. Il se lèche les babines. Il s’avance sans un bruit. Dans ton dos, une masse sombre se rapproche dangereusement. Elle te renifle. Tandis que tu portes toute ton attention sur le blessé. Elle te dévore du regard. Et toi, tu n’as d’yeux que pour le petit à la plaie ouverte. Elle lève la patte au-dessus de toi avant de l’abattre.

 

    Tu sens qu’on te lacère. Le cou. L’épaule. Le dos. Tu te sens tomber sur le côté gauche. La tête. Le sol. Le choc. Tu te sens partir. La nuit dans tes yeux. Une main tendue vers le petit. Comme pour le protéger malgré tout ce qui se passe. Une douleur au niveau de ton épaule droite. Tu lâches un cri. Un dernier cri avant de sombrer. Le flou partout. Les bruits. Tous les bruits mélangés. Tu ne sais plus ce qui est. Le noir autour de toi.

Une famille animale

    Tu es dans le salon. Tu es en train de jouer. Soudain, la petite de poils rousse tombe de la table basse sur le coussin. Tu la prends dans tes mains. Le petit écureuil ne se réveille pas. Il semble endormi. Un sentiment de panique commence à monter en toi. Tu te lèves et tu cours comme tu peux pour rejoindre ta maman.

 

    – Maman, Zip est tombé. Il bouge plus. Maman…

 

    Une larme coule le long de ta joue. Tu t’inquiètes pour le petit et tu n’es pas la seule. Ta mère attrape le petit être dans ses mains. Elle te demande de retourner dans le salon pendant qu’elle s’occupe de lui. Elle a les larmes au bord des yeux. Tu lui obéis.

 

    Dans le salon, tu t’assois sur le sol. Rouky vient tout de suite vers toi. Tu attrapes le grand berger allemand dans tes bras. Un grand câlin. Bientôt, un museau de chat fait son apparition. Tu joins Rox à l’accolade. Tu as peur. Ils viennent te réconforter.

 

    Lorsque tu te détaches d’eux, tu remarques que même Grognon est sorti de sa cachette. L’hérisson, qui a l’habitude t’éviter, le voici près de toi. Un peu plus loin, qui peine à arriver, Spiddy, le lézard. Le criquet, lui, a pris de l’avance, posé sur ton épaule, il se colle à ta joue. C’était un peu comme si la famille se réunissait dans le salon.

 

    Il ne manque que les deux loups. Ils sont surement avec maman. Même Hope attend à la fenêtre. Le corbeau observe la scène de son perchoir. Et toi, tu continues de caresser les deux mammifères à tes côtés. Tout en levant les yeux vers la maison de l’écureuil.

 

    Maman lui a construit un endroit à lui proche du plafond. Un lieu où il pouvait rester avec sa famille tout en étant avec nous. Zip fait parti de la famille. On est tous une famille. Tu vois les petits écureuils sortir doucement. Comme s’ils savaient.

 

    Au même moment, maman revient. Elle a les yeux rouges. À ses côtés, Laurel et Hardi ont des mines tristes. Tu sens la peine et la tristesse. Tu la ressens au fond de toi. Ton cœur se serre. Sur le coup, tu n’as pas envie de l’écouter. Tu la regardes simplement. Elle essuie une larme qui glisse sur sa joue.

 

    Maman t’explique que Zip est parti. Elle a la voix qui tremble. Tu peux ressentir sa douleur dans sa voix. Il a toujours été là pour elle. Tu sais qu’il est important. Pour toi aussi. Il était toujours là pour te faire rire avec ses petites manies. Tu sens doucement des larmes monter à tes yeux. Tu vois maman s’accroupir.

 

    Tu te lèves pour venir dans ses bras. Tu te réfugies dans ses bras. Elle t’attrape. Elle te serre fort contre elle. Vous laissez vos larmes couler. Vous les laissez s’échapper. Elles ne s’arrêtent plus. Vous êtes là. Dans les bras l’une de l’autre. Les souvenirs dansent dans vos mémoires et la tristesse s’exprime dans vos yeux rougis.

 

    Autour de vous, les animaux se sont rapprochés. Un câlin tous ensemble. Un câlin en famille pour surmonter ensemble ce triste événement. Maman te berce tendrement. Un instant de douceur au milieu de la douleur. Si jeune confrontée à cela, tu ne comprends pas tout, tout de suite. Mais, tu sais que Maman t’expliquera un peu plus tard. En attendant, ta famille est là. Vous êtes unis. Les uns présents pour les autres…

Noël sans papa

    Par rapport aux textes précédents, les suivants suivront MacKayla, la fille de Max.

    Bonne lecture

 

    Tu descends les escaliers en courant. En bas de ceux-ci, un homme t’attend les bras grands ouverts. Tu sautes. Il te rattrape au vol en souriant. Vous rayonnez. Vous riez. Une voix raisonne. Ton complice te fait signe de ne rien dire. Mais tu ne peux t’empêcher de laisser s’envoler un éclat de rire.

 

    La mine faussement en colère de la maman fait son apparition. L’homme mime l’innocence. Et toi, toi tu ris. Tu aimes bien quand tonton cache des petits secrets à maman. Même si tu ne comprends pas tout, tu les trouves drôles.

 

    D’ailleurs, le plus marrant, quand tonton est là avec mamie, c’est quand ta mamie appelle « Max ». Les deux jeunes adultes accourent vers leur mère avec les mêmes mimiques. Mamie adore faire cela pour te faire rire. Même si maman n’aime pas toujours.

 

    Ta maman s’approche et te prend à son tour dans ses bras. Vous vous faites un bisou d’Esquimaux. Les nez se touchent. Une drôle de salutation qui fait sourire, petits et grands. Tu t’agrippes à ta maman. Tu sais que tu peux compter sur elle.

 

    Tu n’as pas de papa. Mais tu as un tonton. Il vient dès qu’il a du temps libre pour s’amuser avec toi. Il fait des bêtises tonton. Et maman n’est pas toujours contente. Mais ce que tu aimes chez ta maman, c’est qu’elle sourit tout le temps. Même quand elle est triste, elle sourit. Elle essaye toujours de mettre de la couleur. Comme aujourd’hui…

 

    À une semaine de Noël, un sapin est installé dans le salon. Il est nu de toutes décorations. Alors, tu regardes les deux grands mettre les guirlandes. Ils dansent autour du sapin. Ton rire illumine la pièce. Avec mamie, vous installez les ornements sur le feuillage. Vous mettez toutes les couleurs possibles. Vous mélangez tout.

 

    Puis, tonton t’attrape pour te mettre sur ses épaules. Il faut être grand pour installer l’étoile. Et grâce à tonton, tu es la plus grande de la maison. Ta maman te tend en souriant la décoration finale. Tu t’appliques. C’est la première fois que tu peux la mettre. Tu fais bien attention.

 

    Et voilà. Le sapin est fini. Tu rejoins ta maman. Tu es impatiente que le papa Noël arrive avec ses cadeaux. Cette année, tu as simplement demandé de la couleur et de la musique. Ce sont deux choses qui sont importantes pour maman donc tu te dis qu’on n’en a jamais assez.

 

    Tu aimes ta maman. Tu es heureuse. Tu es aimé. La famille est importante et ta maman sera toujours là pour toi et inversement…

La Disparition

    La période des fêtes, quel doux moment de l’année. Les sourires dans les rues. Les couleurs portées par les habitations. Les lumières qui dansent lorsque la nuit tombe. Les enfants jouant dans la neige sous le regard attentif des parents. Un instant de famille, des retrouvailles. Les cœurs qui se réchauffent près d’un feu de cheminée. Une période de partage pour les rêveurs qui voient la magie comme une douce mélodie qui plane dans les airs.

 

    Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fêté Noël en famille. Presque cinq ans que je m’étais résignée à cette idée. M’isolant avec mes animaux et essayant de ne voir presque personne. Comme si la mélodie des souvenirs rappelait les piliers effondrés. Comme si elle entaillait un peu plus ce cœur en reconstruction qui replongeait dans le passé au bout de quelques notes en écho avec le présent…

 

    Père encore en voyage, du haut de mes seize ans, j’aidais Dana, ma belle-mère à cuisiner des gâteaux de Noël. Elle m’avait interdit la magie. Je m’exécutais alors du mieux que je pouvais en chantant avec elle les contes des non-initiés de cette période hivernale. La cuisine ressemblait à un véritable champ de bataille. Mais ce n’était pas grave. Les souvenirs de ce petit temps valaient beaucoup plus que les heures de rangement qui suivaient. Le soir même nous étions sorties toutes les deux au marché de Noël pour voir les illuminations. Mes yeux d’adolescente ne voulant pas grandir s’ouvraient en grand. Émerveillée comme la première fois par cette valse des sensations.

 

    Une main tenant celle de ma petite sœur, Mathilda, d’à peine cinq ans, la seconde tenant la laisse d’un louveteau un peu trop dynamique. Nous avancions au travers de la foule de sorciers dans ce quartier canadien que je connaissais bien. Il avait revêtu ses plus belles couleurs de Noël. Il vivait. Il dansait et jouait avec les passants. Le monde riait sans faire attention au lendemain, mais toujours un sourire vers le voisin. Un arrêt sur un stand de bijoux. Puis sur un autre, profitant pour faire des petites emplettes sur le marché avant d’aller dans les boutiques. Deux enfants que nous étions s’émerveillaient devant les objets. Deux jeunes avec près de dix-sept années d’écart se laissant guider par leurs cœurs. Mais le mien loupa un battement lorsque je me retrouvai comme hypnotisée par un magnifique instrument en bois fait main. Je lâchais, juste un court instant celle de Mathilda pour gratter quelques notes avec l’autorisation du vendeur. Je fus alors sous le charme de la mélodie. Alignant les pièces, cadeau de Noël à moi-même sous le bras, je me tournais sourire aux lèvres vers la jeune fille qui n’était plus là.

 

    Petit tour à la maison des messagers. Le cœur un peu serré, mais en même temps impatient. Les nouvelles du père se faisaient rares ces derniers temps. J’espérais de tout cœur trouver entre les serres de Dream, mon moyen duc, une lettre ou une carte. Rien qu’un mot qui me rassurerait. Pas grand-chose, juste savoir qu’il ne m’avait pas oublié en mon jour d’anniversaire presque six mois après sa dernière lettre nous annonçant qu’il ne rentrerait pas pour les fêtes. Je lui en avais voulu intérieurement. Je ne le voyais que rarement avec l’école et il n’était même pas là quand je revenais pour passer du temps en famille. Mon cœur se stoppa quand je remarquais deux papiers près de l’oiseau. L’un d’une personne ayant la clé du cœur et le second de Dana. Des traces de larmes faisaient baver certains mots et l’écriture était fragile. Comme si le mot était écrit avec les émotions. Comme un cri du cœur.

 

    Cri qui transperça la foule alors que je cherchais la petite qui n’était plus à mes côtés. Mon sang ne fit qu’un tour. Tous mes sens en éveil pour rejoindre l’origine du bruit. Je tentais de me faufiler au travers de la masse en mouvement. Je ne devais pas perdre une seconde. Même si Rouky, mon fidèle berger allemand accompagnait Mathilda, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer les pires scénarios. Au détour d’une ruelle, je vis une jeune initiée un petit gant à la main et des larmes aux yeux. Je n’arrivais pas à l’entendre. La peur. La colère. Les sentiments couvraient mes sens. D’un mouvement de bras, elle indiqua une ruelle un peu enneigée où des pas étaient visibles aux côtés de pattes de l’animal. Sans réfléchir, j’accélérais d’une traite. Lâchant la laisse du loup le laissant prendre de l’avance, mais sans le lâcher de vue. Une ombre noire au loin. Un rayon de couleur. Un gémissement. Puis la silhouette s’éloigne disparaissant presque.

 

    Cartons sur le palier de porte. Mon nom écrit dessus. Je me sentais au plus mal. Je ne comprenais pas et malgré mes tentatives pour tenter un dialogue, la porte de bois de l’entrée ne bougea point. Je pouvais simplement entendre des sanglots venant de l’intérieur sans rien pouvoir faire de plus. Je rassemblais alors les choses qui m’étaient les plus précieuses parmi celles disposées dans la rue. Remplissant mes poches d’initié runiques avec discrétion. Puis je repartis le cœur lourd après avoir déposé un petit mot sur un des cartons restants. L’école m’attendait. J’avais encore un toit pour quelques jours. Que passera-t-il par la suite ? Il me fallait retrouver mon père.

 

    Malgré la douleur qui me traversait la jambe, je ne pouvais m’arrêter de courir cherchant à aller toujours plus vite. Mais lorsque j’entendis le hurlement déchirant d’un loup, mon cœur de cristal tomba et se fissura. Je ne me stoppais qu’au moment où je fus au niveau des deux quadrupèdes. Hurlant à mon tour en voyant un second gant au sol ainsi que le rouge qui se mêlait au blanc immaculé de la neige autour du canidé. Une rune de secours. Puis chercher à réduire l’hémorragie. Pas de sort de soin dans mes compétences. Une trousse de non-initié ouverte. Les larmes qui brouillaient ma vision. Une tête qui venait trouver refuge dans mes bras quand recroquevillée aux côtés du corps souffrant j’attendais les secours. Un bruit de papier. Tête relevée vers l’animal sauvage. Un prospectus dans sa gueule. J’essuyais les larmes. Me tournant vers deux amis je savais ce qui me restait à faire une fois que Dana, ma belle-mère, serait revenue pour ramener mes deux acolytes à l’abri.

 

    La fin des cours, le doux bruit d’un wagon sur les rails. La plupart semblaient heureux de rentrer pour l’été et d’autres de ne plus revenir. De mon côté, je retenais mes larmes. Prenant le premier train après les résultats du diplôme ne voulant pas croiser d’amis proches. Ma décision était prise depuis quelques jours. Aujourd’hui était le début d’un long voyage. Carte postale dans la main. Première ville d’une longue série à visiter. Je ne savais pas ce qui m’attendait. Je ne pouvais plus revenir en arrière. J’étais perdue. Et même si dans un sens il m’avait abandonnée, il restait mon pilier familial. Celui qui me guidait depuis des années malgré moi.

 

    Nœud papillon, haut de forme et grande veste sur le dos, je me fondais au milieu de la foule. Arrivant juste à temps pour le début du spectacle. Un théâtre de non-initié dans une ville voisine. Un lieu assez réputé où toutes les tenues n’étaient pas acceptées. Il ne fut pas simple de trouver une place pour la représentation du soir même. Mais malgré le prix je devais y aller, ce prospectus parlant de cette pièce était mon seul indice. Tous mes sens en éveil, j’inspectais les environs. Je ne suivais la scène sous mes yeux que d’une oreille. Mon attention rapidement retenue par un individu au niveau d’un des balcons. Un mauvais pressentiment qui me faisait dresser les poils. Je devais confirmer mes soupçons. Ce fut à ce moment que vint l’entracte. Je quittais alors ma place avec mes affaires.

 

    Je voyageais depuis plusieurs jours à la recherche de celui qui m’avait élevée. Je n’avais pas beaucoup d’indices sur sa localisation. Rapidement, les jours devinrent des semaines puis des mois. Des rencontres sur le chemin. De nouveaux traits de noirs qui venaient encrer ma peau et ce voyage dans mes souvenirs. Une expérience que je n’aurais jamais espéré vivre. Malheureusement, ce pressentiment me rongeait, je n’arrivais plus à profiter et oublier un instant le pourquoi j’étais sur la route. Cependant un jour, une réponse, un ami, une confirmation d’une pensée inavouable. Il n’était et ne serait plus. Une main qui vient s’écraser contre un arbre. Des larmes de sang glissant du membre vers le sol. Des gouttes de tristesse replissèrent les yeux pour s’échouer sur la terre. Pilier effondré. J’avais du mal à trouver l’équilibre.

 

    L’équilibre était difficile à trouver avec les blessures qui me faisaient toujours mal. Elles m’empêchaient de bouger avec fluidité. Mais j’arrivais tout de même à me faufiler sous ma forme animale. Esquivant les humains. Me cachant des regards. Je rejoignais à mon rythme la tribune que j’avais repérée d’en bas. Me glissant pour écouter. Espérant à la fois avoir raison et tort. Concentrant mon attention sur la conversation, je compris. Me retenant de crier, une douleur me serrant le cœur. Des parents ne pouvant pas avoir d’enfants discutaient avec l’individu qui leur en promettait un pour bientôt. Un petit sorcier orphelin ou même une petite initiée trouvée cette nuit même. Des photos dans un petit carnet. Il n’avait pas perdu de temps affichant le petit visage de Mathilda au-dessus d’un « Marie, 5 ans ». Duel intérieur pour savoir le mieux à faire sur l’instant puis décider de suivre. Attendre pour l’instant avant de filer ce personnage aux mœurs incertaines.

 

    Suivre le vent, courir pour remonter le temps puis se chercher. Reculer pour repartir. Trouver un objectif enfouit quelque chose de fort qui bat comme un second souffle. Un mois passé à voyager encore sans un mot. Trouver le bon lieu, un endroit de repos. Loin des bruits, loin de tout. Un coin reculé pour se retrouver. Soleil comme témoin des jours qui défilaient. Puis une soirée. Une étoile. Une boisson. Une transformation. Une douleur gravée. Une marque gardée. L’animal en moi que je cachais s’exprimait en cette lune dégagée. Sous les traits d’un trait mammifère roux, je m’étais changé pour la première fois. Le goût de la liberté…

 

    Liberté de mouvement retirée. Je ne pouvais plus bouger. Quelque chose me bloquait comme une force invisible qui me retenait alors que je marchais en hauteur derrière l’homme. Force qui me fit par la suite tomber au sol. Puis un rire. Dessin dans les airs. Douleur. Partout. Dans tout mon corps. Os reprenant leur taille originelle. Peau s’étirant alors que les poils rentraient un à un. Cicatrices fragiles se rouvrant sous l’effet de la transformation forcée trop rapide. Muscles endoloris et endormis par cette vague de souffrance. Un visage flou s’approchant du mien. Une lumière. Puis plus rien. Le noir, le vide… Juste la douleur…

 

    Retour à la civilisation plus difficile que prévu après des semaines et mois dans la forêt. Des journées à gambader et sauter d’arbre en arbre. À se perdre et simplement profiter de la nature autour de moi. L’envie de reprendre contact, mais chemin en croisant un autre. S’improviser baby-sitter pour garder des jumeaux. Se lier à cette famille et se sentir comme chez soi. Un cocon de sécurité. Puis un nouveau croisement, un retour vers un pilier dans un sens. Un travail à côté duquel je ne pouvais passer. Garde-chasse. Garder une forêt. Celle de l’école. Et parfois croire aux rêves en se réveillant au milieu des animaux.

 

    Mais là le rêve était un cauchemar, quant au réveil, le noir était toujours présent. Une odeur nauséabonde brouillait mes sens. Et des cris martelaient ma tête déjà lourde. Les yeux ouverts, il fallut un temps pour dissiper le brouillard. Une porte de cellule. Je m’en approchais. Ou plutôt j’essayais. Retenue par des bracelets qui me brulaient les poignets. En T-shirt, le froid me faisait hérisser les poils et la peur, grelotter. Je cherchais à comprendre quand une voix se démarqua. « Max » je la reconnaissais. « Mathilda », mais je ne la voyais pas. Je n’eus pas le temps de dire plus. Un nouveau voile sur la vue. Je sombrais de nouveau sans comprendre.

 

    Debout sur le ring, l’illusion était bien réelle. Un reflet au milieu de la foule puis sur la scène. Il jouait. Il riait. Souriait. Je le connaissais sans le connaitre. Une ressemblance frappante. L’impression de se voir. Comme dans un rêve où le miroir entre dans la réalité. Mais ce miroir-là n’était pas une simple hallucination du cerveau fatigué. Il était venu me voir après mon élimination lors de ce riff off. Nous nous étions isolés. Je l’ai laissé parler, avant qu’intérieurement je ne puisse en entendre plus. Trop d’informations. Une famille. Un jumeau. Une mère. Abandon… Laisser une adresse puis fuir… Me réfugier dans un endroit connu. Puis revenir doucement. Accepter de voir la mère. Prendre l’avion. Se faire critiquer. Ne pas être celle attendue. Se sentir de nouveau abandonné. Se perdre dans la forêt. Fuir. Loin. Courir. Sans penser à regarder devant soi.

 

    Ouvrir les yeux. Bouger les bras. Je ne pouvais pas. Attachée à une chaise, je ne pouvais rien faire. Je criais alors. Une main atterrit sur ma joue. Des mots hurlés à mon oreille qui sifflait. Ma vue toujours un peu trouble. Je ne comprenais pas ce qui m’était dit. Seuls quelques morceaux arrivaient à être décodés par ce cerveau endormi de douleur. Ils pensaient que j’étais de la police ou détective. Je répondis que non. La douleur me traversa. Je ne dis alors plus rien. La douleur continue. Comme venant par vague. Je ne savais plus si j’étais consciente ou inconsciente…

 

    Inconsciente, je l’étais. Partir sans prévenir en début de soirée. S’enfoncer dans la partie interdite de l’école. N’écouter que l’animal puis se faire stopper d’un coup de patte. Des griffes s’enfonçant dans ma chair. Rougissant mon pelage roux. Un nouveau coup plus ciblé. M’arrachant un nouveau cri comme un hurlement animain. Mi-animal. Mi-humain. Avoir la vue qui lâche doucement. Alors que les crocs du prédateur se rapprochent. Puis, un grognement. Plus de crocs. Un regard au-dessus. Presque humain. Un battement d’ailes au loin. Yeux vers le ciel pour voir l’ange des rêves, Dream s’envola, emportant son dernier battement. Ma dernière image avant de sombrer de nouveau dans l’inconscience…

 

    Mais toujours une pointe de lucidité. Tête qui tournait. Mais il me fallait agir. Sur l’épaule d’un homme, j’étais transportée. Je vis alors un bout d’espoir dépasser de sa poche. Je m’y agrippais alors qu’il me basculait dans ma cellule. Je m’y agrippais en me roulant en boule pour qu’il ne le voie pas en refermant la porte. Je m’y agrippais de toutes mes dernières forces en repensant à ma famille. Je m’y agrippais fermement en dessinant une simple rune. Je le relâchais quand la boule d’énergie sous la forme d’un brin de lumière partit comme une flèche. Espoir. Tout était entre ses mains.

 

    Mains qui s’appliquaient. Douce voix qui me rassurait. Une boule de poils à mes côtés. Je ne sentais presque plus mon corps alors que la douleur le tétanisait. Les vagues de soins faisaient doucement effet. Je ne me rappelais plus combien temps s’était écoulé dans cette pièce blanche. Un peu trop ou pas assez. Je ne savais pas. Juste le temps pour que mon cerveau trouve bien de se reposer en un lieu connu. Un lieu où l’on pourrait m’aider. Je pris donc quelques jours de repos forcé chez ma belle-mère. Celle retrouvée par hasard. Celle qui avait élevé ma petite sœur. Ma demi-petite sœur. Mathilda…

 

    « Mathilda » à peine éveillée, seul mot que je prononçais. Je sentis une main sur ma joue. Et une autre m’accrocher. Un flash de lumière. Des cris. Des bruits. Une personne qui se blottit. Je la serrais avec le peu de force que j’avais. Je rêvais seulement. Un nouveau flash coloré. Un son particulier. Des runes dans l’air. Incapable de les différencier. Puis une main qui me serre fortement l’épaule. Pas le temps de dire quelque chose. Estomac qui se tord. Tête qui retombe. L’inconscience mon ami tu m’avais manqué.

 

    Discuter et rattraper le temps. Comprendre la réaction d’il y a cinq ans. Découvrir la petite et lui apprendre de nouvelles choses. La laisser jouer avec Rouky, le doux berger allemand et le petit écureuil Zip. Se redécouvrir une famille et en pleurer. Une demande pour les fêtes. Les passer ensemble. Un objectif fixé. Des cadeaux achetés. Un voyage programmé. Belle-mère, filles et animaux dans un même chalet reculé dans la forêt. Cheminée réchauffant l’atmosphère, l’odeur des bons plats dans l’air.

 

    Odeur de chocolat qui me vint aux narines. Un réveil en douceur avec un peu de mal. La fatigue me prenant encore un peu comme la petite qui avait dû s’endormir pendant sa veille en serrant le chien comme un doudou. Sourire aux lèvres en voyant une tasse sur la table de nuit. Je me redressais pour boire la boisson chaude avant d’entourer de mes bras le chien blessé et la petite endormie. Réveillant sans le vouloir les deux. Un petit rire dans l’air venant de l’encadrement de la porte où Dana regardait la scène. Un signe de la tête. Avec Mathilda nous nous regardions sans comprendre.

 

    Quelques grimaces et quelques marches plus tard, devant nous des paquets près de la cheminé. Les deux enfants que nous étions oublièrent alors les événements récents pour s’accroupir, non sans mal. L’émerveillement dans les yeux. De l’innocence dans l’air. Un peu de douceur en ce jour de Noël.