Instinct Animal

    Une nouvelle. Une annonce. La perte d’un pilier fondateur. L’effondrement. Le renferment. Je m’étais isolée. Je ne voulais plus voir personne. Dans la forêt, je dormais, seule. Au plus proche de la nature. Loin du monde. Loin de la ville. Loin des personnes qui pourraient me voir, me juger.

 

    Dans ma bulle. Dans mes livres. Seule avec ma musique, mes souvenirs. Je me sentais moi dans cette nature qui me tendait les bras. Sans les autres, je m’exprimais sans mon masque. Sans ce filtre à sentiment. Je me laissais aller. Colère, peur, tristesse. Des sentiments qui se mêlaient. Que je laissais aller. Personne n’était là pour me les reprocher. Je les laissais donc sortir, eux que j’avais enterrés sans même le remarquer au début.

 

    Assise dans mon arbre, je me sentais protégée. La nature semblait m’appeler autant qu’elle m’apaisait et m’aidait. Je ne voulais plus la quitter. Ne faire qu’un avec elle. Ne plus penser à mes problèmes. Laisser cet animal en moi ressortir. Il était peut-être l’heure, le bon moment pour commencer cette formation. Ce long cheminement vers l’instinct animal. Ce domaine qui m’attirait. Une petite voix au fond de moi me poussait à sauter le pas.

 

    J’avais relu plusieurs fois le livre que j’avais, pour être sûre des différentes étapes. Pour pouvoir rassembler les ingrédients. J’avais quitté ma forêt pour aller les chercher. J’étais maintenant décidée à me laisser guider vers cet animal en moi. Mais, en attendant de le trouver. J’avais remis mon masque. Je ne voulais pas que les personnes que je croiserais soient témoins de ma sensibilité.

 

    Grâce à ce voile, je redevenais celle que j’étais à l’école des initiés. Ou plutôt celle que je voulais bien montrer. Dans le fond, derrière, j’avais toujours été cette petite fille timide, craintive, impulsive, curieuse et sensible qui pour plaire à son père se comportait en élève modèle. Cachant sa sensibilité ne montrant juste ce que les autres voulaient bien voir.

 

    Dans une petite boutique, j’avais acheté la poudre d’étoile et la fiole en cristal, avec les économies qui me restaient. J’en avais aussi profité pour faire quelques provisions. Puis, j’avais entrepris un nouveau voyage à la recherche des deux éléments manquants.

 

    Je tentais durant mon expédition de garder mon calme. Ne pas céder à l’impatience. Même si au fond de moi j’avais hâte. Hâte de me découvrir autrement. Et en parallèle, je profitais de tous les moments que je passais à chercher, qui j’étais au fond de moi. Me posant des questions. Curieuse de ce que je pourrais découvrir au bout du voyage.

 

    Un tour dans un continent voisin. Un peu de patience. Beaucoup de recherches. De questions posées aux habitants. Alors que je pensais ne pas réussir à la trouver avant un moment. Une fleur des montagnes à mes pieds. J’avais eu de la chance de la trouver si vite, à quelques jours de l’échéance. À quelques jours de cette nouvelle pleine lune.

 

    La magnifique aux nuances roses et violines maintenant dans une boite à l’intérieur de ma poche. Je devais maintenant trouver un endroit où me retrouver. Dans une nouvelle forêt, loin des habitations je m’étais installée, après avoir recueilli le dernier ingrédient. Le soir prochain je devrai être prête.

 

    Aucun nuage dans le ciel. La lune pleine dominait, haute au milieu des étoiles. Je sortis ma boite. Dedans, les éléments étaient rangés, n’attendant que d’être utilisés. Dans la fiole, je déposais un de mes cheveux arrachés à l’instant. Je versais ensuite, une cuillère de rosé recueillit le matin même dans cet endroit si reculé que l’homme était comme un intrus en son sein.

 

    Les pétales ajoutés ainsi que la poudre d’étoile, je fermai la fiole et la déposais au pied dans l’eau d’un lac proche de moi. Je m’écartais ensuite du lieu où le vent se faisait entendre et où la nature avait tous ses droits. À quelques mètres de là je me fis un petit abri. Un petit chez moi improvisé en attendant l’étoile qui allait tout changer.

 

    Je vivais au rythme du mouvement des astres. Me réveillant avec les premières lueurs du soleil. Me levant, stèle à la main. Pointée sur le bras. Dessin lent et précis. C’était devenu une habitude. Une sorte de rituel. Un nouveau battement rapide se faisait sentir. Dès le matin. Une sensation agréable.

 

    Une même habitude en regardant le coucher du soleil. Une nouvelle connexion avec l’animal en moi. Je pouvais comme la sentir. Les jours passaient. Seule dans la forêt je restais. Méditant. Lisant. M’entrainant. La musique m’accompagnant. Dream, mon cher moyen duc pour seule compagnie lorsqu’il ne partait pas se balader. Je lui avais rendu sa liberté. Mais il continuait de venir me voir. Comme s’il voulait m’apporter son soutien. Comme s’il ne voulait pas me laisser seule.

 

    Soudain, un soir. Au moment où j’allais m’endormir. À la belle étoile dans mon lit de feuilles comme chaque jour passé dans cette forêt. Les étoiles brillaient plus ce soir-là. Beaucoup plus que les soirs d’avant. Un bon pressentiment montait en moi.

 

    Je vis un éclair déchirer la toile céleste. Je n’attendis même pas un autre signe ou un quelconque signal. J’étais déjà debout, courant vers cet endroit où plusieurs semaines auparavant j’avais déposé ma fiole. Plusieurs semaines que j’attendais chaque jour l’étoile filante répétant la rune matin et soir. Je n’avais même pas osé m’écarter de trop de ce lac de peur de ne pas pouvoir le retrouver.

 

    J’étais restée dans cet endroit isolé. Me débrouillant par moi-même. M’occupant comme je le pouvais. À la fois impatiente et stressée. Je tentais de garder mon calme chaque jour passant en espérant que le suivant serait le bon. Perdant petit à petit la notion du temps. Je ne savais même pas quel jour on était. Tout ce que je savais c’était qu’il allait changer les choses.

 

    Sous la pleine lune et la nuit d’étoile, je plongeais mes mains dans l’eau pour en sortir la fiole. Je pris un instant pour la nettoyer du mieux que je pouvais avec le T-shirt abîmé duquel j’étais vêtu. N’ayant pas beaucoup de vêtements j’avais préféré garder mes costumes propres optant pour un simple T-shirt et un jean durant mon long séjour isolé du monde. Une fois sèche je l’admirais.

 

    Rouge. Rouge sang. Telle était la couleur actuelle de la potion. Je jetais un coup d’œil aux environs. L’espace me semblait en sécurité. Tout le long de mon attente, aucune ne trace d’une quelconque menace. Je bouchonnai doucement la fiole avant de la porter à mes lèvres. Je la finis d’une traite. Plus moyen de revenir en arrière. La transformation allait s’opérer. D’un côté je redoutais et d’un autre j’étais impatiente.

 

    Il ne me restait qu’une chose à faire. Stèle sur le cœur. Je répétais pour la énième fois et sûrement la dernière, les gestes du rituel. Ceux que j’effectuais à chaque lever et coucher du soleil depuis plusieurs semaines. Une grande inspiration. Beaucoup de concentration. Des traits précis sur la peau.

 

    Une vive douleur. Partout. Anesthésiant chaque fibre de mon corps. Me coupant le souffle sur l’instant. Je me repliais sur moi-même. Cherchant à oublier cette douleur. Elle faisait partie de la transformation. Mais elle était insupportable. Elle me paralysait. Mes pensées rivées sur elle, j’en oubliais le reste. Au fond de moi, je cherchais la force de passer outre. Me focalisant sur autre chose. Mon cœur.

 

    Ce dernier s’emballait. Comme s’il voulait sortir de ma poitrine. Sa cadence s’était accélérée d’un coup. Ma respiration le suivant. Je ne cherchais plus à comprendre. Je ne me posais plus de question. Mon esprit entièrement concentré sur ces changements qui s’opéraient.

 

    Dans ma tête une image. Douce. Réconfortante. Un petit animal roux. Un petit écureuil qui semblait me regarder. Attendre que je le rejoigne. Mon attention était sur lui. Le détaillant par la pensée. Tandis que mon corps douloureux lui bougeait et changeait malgré moi.

 

    Je ne le remarquais point, mais mes vêtements fusionnaient petit à petit avec ma peau pour se changer en poil. Le pelage s’étendait à partir de mon cœur. Comme une goutte d’encre qui s’étalait sur une feuille de papier. La fourrure rousse me recouvrait rapidement.

 

    Tout à coup, deux nouveaux sens sollicités en même temps. De manière vive. Brutale. Des odeurs de partout. Des bruits tout autour. Un mal de crâne qui s’intensifiait. L’odorat plus fin. Une odeur me prenait le nez. En parallèle, dans mes oreilles les sons se mêlaient. Tout se passait vite. Trop vite. Je n’avais le temps de prendre conscience qu’un nouveau changement prenait sa place.

 

    La douleur toujours présente. Je me sentais perdre l’équilibre. Me rapprocher dangereusement du sol. La transformation s’achevait de manière brutale. Mes membres se réduisaient presque en même temps de façon instantanée. Mon corps se modifiait de plus en plus. Je n’arrivais plus à suivre les étapes. Tout était flou. Intense. Rapide. Douloureux.

 

    Puis tout doucement. Tout redevenait calme. Paisible. Comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton marche/arrêt. J’ouvris doucement les yeux. Allongée sur le sol, je n’avais pas vraiment la notion du temps ou des événements. Seule la douleur restait comme souvenir.

 

    Je me redressais tranquillement. Pas de mouvement brusque. Je devais apprendre à utiliser cette nouvelle forme. Je me sentais bizarrement bien. À l’aise. Libre. Ce sentiment de liberté m’envahissait petit à petit. J’en oubliais les obstacles que j’avais traversés pour arriver jusqu’ici. Je n’avais qu’une envie. Courir.

 

    Je partis donc en direction de la forêt. Ce petit corps qui était maintenant le mien se mouvait malgré moi. Je souriais. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie tellement bien. Aussi moi tout simplement. Plus la peine de se cacher. Je pouvais maintenant vivre. Me libérer de ce masque en me transformant. En rejoignant ma forme animale.

 

    En grimpant dans un arbre, je fis un peu plus attention à mon nouveau corps. De petites griffes aux pattes. Un pelage roux. Je pris un peu plus conscience de ce en quoi je m’étais transformée. Mais je n’arrivais pas encore à le distinguer pleinement. Sur la branche, je me tournais plusieurs fois autour comme pour essayer de me détailler. Un écureuil. Le même que celui qui m’était apparu en même temps que la douleur.

 

    Douleur. Transformation. Lac. Stèle. Je l’avais oublié. Vite. Je courus à nouveau vers la source d’eau. J’entendais les sons de la nature de manière plus claire. Je sentais la douce odeur de l’herbe mouillée se mêler à d’autres que je n’arrivais pas à distinguer.

 

    Ce corps reflétait qui j’étais à l’intérieur. Je ne le savais pas encore, mais ce petit écureuil, ce changement, cette formation allait impacter ma vie. Plus que je ne l’aurais cru. Elle m’aidera à m’ouvrir. À m’évader lorsque le masque deviendrait trop pesant. Plus tard je comprendrai que ce petit être n’était autre que le moi que je cachais. Cette partie timide, craintive, furtive et sensible qui ne devait pas être découverte, mais qui se reflète une fois seule l’animal dans les pensées.

 

    Pour l’instant, une chose dominait mon esprit. Ou plutôt deux. La curiosité et la panique. Mais une fois à côté de ma stèle, cette dernière pensée s’envola. Je ne pus m’empêcher de me rapprocher du lac à petits pas. Cherchant mon reflet au milieu des ondes produites par les mouvements de l’eau à la surface. Je penchais la tête sur le côté. Une patte l’oreille. Je me grattais. Sourire figé. J’admirai cet animal qui n’était autre que moi.

 

    Avant de faire cheminement inverse, je fis de nouveau comme sur la branche un tour sur moi-même. Remarquant cette fois-ci une marque. Mon tatouage apparaissait sur mon pelage. Le petit oiseau en origami. Celui qui ornait mes côtes. Qui symbolisait pour moi la liberté. Le voilà maintenant gravé sur le petit rouquin.

 

    Je fermai les yeux. Repensant à qui j’étais. À mon corps humain. Le visualisant dans mon esprit. Quittant à regret l’animal. Pour le retrouver plus tard. Non pas plus tard. Bientôt. La transformation s’opéra doucement. Comme si une partie de moi voulait rester dans ce corps. Mais maintenant ma formation terminée, il me fallait rejoindre les hommes. Trouver un moyen d’avancer. Je n’étais plus vraiment seule. Le masque me pesait moins. J’avais maintenant un objectif, que je m’étais trouvée durant cette période solitaire dans ma bulle, dans la nature, à l’abri du monde et des autres.

 

    Mon but était de découvrir ce qui était arrivé à mon père et pourquoi ne pas trouver un emploi. Revenir doucement à la civilisation. M’ouvrir à nouveau, moi qui me suis renfermée ces derniers mois. Sans donner de nouvelles à personne. Être peut-être moi-même. Et qui sait laisser le masque de côté et vivre tout simplement. Et je savais qu’au fond de moi, cette formation, cet animal me guiderait et m’aiderait.

 

    J’avais retrouvé mon corps humain. Je me redressais difficilement. La fatigue me gagnait. Sous le ciel étoilé, je me tenais assise. Je tapotais doucement mon corps, vérifiant que rien n’avait été oublié lors du voyage retour. Non rien. J’attrapais ma stèle et je repartais vers mon abri de fortune. Dormir ou plutôt méditer sur les événements qui venaient de se passer. La suite ne dépendait plus que de moi. J’avais hâte de retrouver l’écureuil. Le sourire n’ayant pas quitté. Cela faisait du bien de sourire. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Mais je me sentais bien. Détendue.

 

    Enfin moi. Sans masque. Sans artifice pour une fois. Je savais que cela serait compliqué de revenir vers la civilisation. Mais peu importe. L’animal qui portait mon tatouage me guidera. Et comme j’ai laissé ma marque sur lui. Il m’avait laissé un souvenir de son passage. Ma chevelure abordait maintenant la même couleur que son pelage.